Publié le 7 décembre 2023 Mis à jour le 8 janvier 2024

Lucien Simont, grand avocat et professeur du cours de "contrats spéciaux" à la Faculté, est décédé à la fin de ce mois de novembre. Paul Alain Foriers lui rend hommage…

Lucien Simont Le 29 novembre 2023, Lucien Simont s’est éteint à Uccle, où il était né, où il avait vécu en rêvant des forêts ardennaises dans lesquelles depuis son enfance il aimait s’échapper. Il nous quittait entouré des siens dans la discrétion, comme il l’avait voulu, fuyant les honneurs et la médiatisation.

Avec cet homme, dont on a écrit qu’il était trop modeste, disparaissait l’ultime représentant de ces grands praticiens qui auront fait la réputation de la Faculté dans la seconde moitié du siècle dernier.
Avec lui, disparaissait pour moi un maître, un guide, un exemple, un associé (« een compagnon » dit-on aux Pays-Bas) qui m’aura accompagné pendant près de cinquante ans.

A mon entrée à l’Université, en 1969, il était encore jeune chargé de cours, qui, après y avoir occupé divers mandats d’assistant, avait été appelé, en 1967 à donner le cours de contrats spéciaux. Monsieur Simont était déjà une autorité. Il formait déjà avec Pierre Van Ommeslaghe, son ami de toujours, ce duo dont les examens, qui devaient être passés le même jour, étaient perçus comme un obstacle insurmontable.
Nous vivions les prémices de la légende qui allait les entourer nourrie par l’imaginaire estudiantin. On commençait cependant déjà à dire que nos deux compères ajustaient leurs tirs et leurs notes le midi au « Léo » après leur partie de tennis quotidienne.
Nous étions en effet dans un autre temps, un temps révolu qui ne connaissait ni les GSM, ni les ordinateurs portables, ni même les fax. Nous ne disposions que d’un téléphone fixe ; les lettres s’adressaient par la poste ou par porteur, exceptionnellement par « télex ». Or, en ces temps passés, tout ce qui comptait au barreau et à la Faculté se retrouvait le midi au Léopold Club pour jouer au tennis. « PVO » et « LS » s’y retrouvaient donc – c’est exact – mais plus pour échanger des balles que pour passer en revue les étudiantes et les étudiants qu’ils avaient interrogés le matin. A moins que…. A moins que l’une ou l’un de ceux-ci leur ait paru extrêmement brillant, ou, c’est arrivé, les ait défiés au tennis. A moins qu’à l’inverse, une réponse méritât d’être inscrite à leur bêtisier. Monsieur Simont gardera longtemps en mémoire l’étudiant qui, interrogé sur la responsabilité de l’entrepreneur de construction, lui avait indiqué qu’il était tenu à la « garantie déciternale » car elle trouvait sa source dans les contrats portant sur la construction des citernes. Comme dans toute légende, il y a un fond de vérité….

Étrangement, une fois la première licence passée, les deux amis paraissaient sous un autre jour et l’on se pressait pour suivre leurs cours spécialisés fondés sur l’étude de cas. Ils passionnaient. Ils faisaient comprendre que pour pouvoir donner un bon avis en droit, il fallait d’abord voir clair dans les faits, comprendre les enjeux. Ils transmettaient leur savoir mais aussi leur expérience.
Et l’expérience de Monsieur Simont était énorme. Il faut dire qu’il était né dans le sérail. Fils et petit-fils d’avocat à la Cour de cassation, il deviendra le troisième du nom lorsqu’il sera nommé en 1975, créant ainsi une lignée d’avocats à la Cour unique en Belgique.
Mais l’avocat à la Cour de cassation qu’il était jusqu’au bout des ongles n’empêchait pas qu’il fût aussi un grand avocat d’affaires, un arbitre respecté au plan international. Il prenait d’ailleurs autant de plaisir à rédiger un pourvoi sur une obscure question de chemin vicinal, de servitudes ou de bail à ferme qu’à concevoir un produit financier novateur ou à conseiller un client à l’occasion d’une acquisition immobilière ou d’une OPA.

Il aimait le droit, il en avait une connaissance encyclopédique et son intelligence, son éthique, et sa clairvoyance faisaient qu’au-delà de ses avis juridiques, il était écouté pour ses conseils en opportunité.
L’œuvre scientifique de Lucien Simont est ainsi le reflet de la diversité de ses enseignements et de sa pratique. Si elle demeure une référence en matière de contrats spéciaux, elle traverse le droit des sociétés, le droit bancaire et financier en passant bien sûr par l’arbitrage et la procédure en cassation, autant de domaines où elle demeure une source essentielle d’inspiration. Elle impressionne par la rigueur des raisonnements techniques mais aussi par son pragmatisme car au-delà de la pure technique, il convient de rechercher des solutions raisonnables, des solutions pratiques.
L’édification d’une telle œuvre par l’avocat et le professeur qu’il était suppose une discipline de vie. Lucien Simont s’y pliait au risque de sacrifier une partie de ses temps libres, de ses vacances.

Mais s’il pouvait paraître un brin austère, ce travailleur infatigable jusqu’à ses dernières années était aussi un exemple de modération.
Si le midi après sa partie de tennis, il déjeunait de peu et ne buvait que de l’eau plate, il appréciait le soir un bon bordeaux après avoir goûté à l’apéritif une blanche de Hoegaarden en compagnie de Jacqueline, son épouse, sa compagne de toujours. Cette fine raquette était aussi un grand marcheur, un vrai marcheur ne craignant pas de traverser les montagnes.
Il aimait par-dessus tout la poésie, combien de textes pouvait-il réciter de mémoire ! Il avait un penchant pour la littérature anglaise au coin du feu en compagnie des chats qui l’avaient conquis. Il appréciait l’opéra, du moins certains opéras et pas nécessairement les plus classiques – il préférait Alban Berg à Verdi.

Il était fier de ses filles, de ses petits-enfants et de son arrière-petite-fille.

Il était, en somme, l’exemple du parfait honnête homme à la recherche de l’équilibre…

Paul Alain Foriers