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Agathe Osinski – Ancrer ses recherches dans le monde réel: un parcours qui croise différentes formes de savoirs

Les défis sociaux et environnementaux de notre monde en polycrise demandent de changer nos manières de produire, de consommer, de travailler… mais aussi nos manières de mener les recherches.

Agathe Osinski Co-construire les projets de recherche et croiser les savoirs est possible avec certains types de projets et financements. Agathe Osinski, chercheuse post-doctorante au sein du projet RethinkingWork mené au Centre de Droit Public et Social, nous partage quelques réflexions à partir de son expérience.

Pourrais-tu nous parler de ton parcours académique (y compris des financements) et professionnel ?
Après un master en politique comparée à la London School of Economics, un master complémentaire en économie à l’UCLouvain et quelques années d’expérience professionnelle dans l’évaluation de politiques publiques à Berlin, j’ai effectué ma thèse à l’UCLouvain entre 2017 et 2021. Grâce à un financement du FNRS (bourse FRFS – WISD), j’ai pu travailler pendant quatre années sur la question de la transdisciplinarité. Il s’agit d’une approche de recherche, surtout développée dans le courant de la sustainability science, qui intègre différentes formes de savoirs non académiques afin de contribuer à la résolution de défis environnementaux et sociaux complexes.

La préparation de cette thèse en sciences politiques et sociales a été une aventure incroyablement enrichissante sur le plan intellectuel. Elle m’a permis d’explorer tout un pan de la littérature (en sociologie, théorie politique, philosophie) que je connaissais peu, et qui traite de questions fondamentales lorsqu’on fait de la recherche son métier : quelle est la différence entre un savoir et une expérience ? Pourquoi certaines formes de savoirs sont-elles considérées comme plus légitimes que d’autres ? Quels sont les savoirs systématiquement invisibilisés et comment la recherche scientifique peut-elle les mettre en lumière afin de permettre une compréhension plus fine des phénomènes sociaux ?

Juste après ma défense de thèse, j’ai rejoint pendant 15 mois l’équipe d’Olivier De Schutter, professeur de droit à l’UCLouvain et Rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté. J’ai mené des recherches sur différentes thématiques en lien avec la pauvreté et j’ai participé à des fact-finding missions, notamment au Népal et au Kirghizistan. Ensuite, j’ai contribué à deux projets internationaux financés par le programme Horizon Europe : le premier au Royaume-Uni sur les politiques sociales et leur capacité à soutenir différents types de familles, le second en France sur la participation des personnes accompagnées par les services sociaux. Ce dernier, mené à l’Université Paris Nanterre, était un projet construit presque entièrement en partenariat avec des citoyen·ne·s, des associations de terrain et des collectivités territoriales. C’était passionnant.

Quels sont tes principaux thèmes de recherche ?
Par le passé, j’ai travaillé principalement sur les questions de participation et de pauvreté. Je cherche à comprendre comment les savoirs issus de l’expérience de la pauvreté ou d’autres formes d’exclusion sociale peuvent contribuer à la recherche et à l’action publique. Je m’intéresse aux conditions qui permettent l’émergence de ces savoirs, mais aussi à la manière dont la recherche scientifique, les politiques publiques et les services sociaux les intègrent (ou non).

J’ai également travaillé sur différentes thématiques en lien avec les politiques sociales, notamment le non-recours aux droits et la mise en œuvre des politiques sociales dans différents contextes.

Tu viens d’intégrer le Centre de droit public et social. Quelles sont tes fonctions ?
J’ai eu la chance de rejoindre l’équipe d’Élise Dermine, qui a décroché un financement ERC pour mener un projet de cinq ans intitulé « Rethinking Work ». Le point de départ du projet de recherche, mené par Élise et Juliette van Ypersele, est d’identifier les mécanismes existants dans le droit social qui permettent aux individus de s’extraire des normes productivistes afin de mener des activités à valeur écologique et/ou sociale, indépendamment de leur valeur économique.

Avec Valérie Coolen, qui a également été recrutée dans le cadre du projet, nous allons étudier comment ces mécanismes, ainsi que d’autres ressources, sont mobilisés par différents acteur·rice·s de terrain. Notre recherche empirique portera sur trois pays : la Belgique, les Pays-Bas et la France.

Ton parcours montre un choix pour la co-construction avec les acteur·rice·s de terrain, des personnes qui vivent dans des conditions de pauvreté, d’exclusion. Tu as choisi d’aller sur le terrain et de te mettre au service de ces personnes. Pourrais-tu nous parler de cette co-construction, de ce qu’elle t’apporte, de certains défis ?
J’apprécie énormément le travail en co-construction, qui permet de donner du sens à la recherche scientifique en abordant des thèmes et des questions ancrés dans la réalité vécue par les personnes. C’est une démarche qui demande du temps et des compétences spécifiques, que je continue à découvrir et à approfondir au fil des projets dans lesquels je m’implique.

Pendant ma thèse, j’ai pu mener une recherche en « Croisement des Savoirs » avec des professionnel·le·s du travail social, des personnes ayant l’expérience de la pauvreté et des chercheur·euse·s, en collaboration avec ATD Quart Monde en Belgique. J’ai notamment appris à animer des séances réunissant ces trois groupes, depuis la co-construction des questions de recherche, en passant par des analyses croisées de récits, jusqu’à la co-écriture d’un rapport. Lors de mon projet à l’Université Paris Nanterre, nous avons travaillé dans cette même logique.

Les recherches participatives sont des processus complexes, dans lesquels il faut être particulièrement attentif·ve aux inégalités de pouvoir afin d’éviter qu’elles ne se reproduisent dans la recherche et n’en biaisent les résultats. Il est également essentiel de bien réfléchir à « l’après », pour que les fruits de la recherche puissent servir à l’ensemble des personnes impliquées et à leurs collectifs.

Pourquoi l’ULB ?
Toute ma trajectoire académique jusqu’à présent a été fortement liée à l’UCLouvain (bachelier, master et doctorat). Mon histoire familiale est aussi marquée par cette université : mon grand-père paternel, accueilli en Belgique comme réfugié politique après la Seconde Guerre mondiale, y a également défendu sa thèse et y a travaillé comme chercheur à la Faculté de médecine.

De mon côté, après plusieurs expériences internationales (ONU, Oxford et Paris Nanterre), je suis ravie de me réancrer en Belgique, mais cette fois à l’ULB. C’est l’occasion de découvrir une institution majeure, issue d’une autre histoire et porteuse, sans doute, d’une autre culture organisationnelle. Et en tant qu’Ixelloise, je suis aussi particulièrement heureuse de travailler dans le même quartier que celui où je vis : cela renforce fortement mon sentiment d’ancrage, tellement important après des années un peu « nomades ».
 

Quelques références :

  • Osinski, A., De Schutter, O., & Godinot, X. (2025). Deliberating towards development: A framework for co-constructing policies with people in poverty. World Development, 195, 107131.
  • Osinski, A., & Rurka, A. (2025). Resistance to epistemic silencing in social services: user tactics for enhancing responsiveness. Critical and Radical Social Work, 1-17.
  • Osinski, A., & Rurka, A. (2025). La co-construction comme enjeu démocratique : participation et « responsivité » au sein des services sociaux européens. Mouvements, 119(1), 63-72.
  • Osinski, A. (2021). Towards a critical sustainability science? Participation of disadvantaged actors and power relations in transdisciplinary research. Sustainability, 13(3), 1266.
Mis à jour le 19 décembre 2025